LE Docteur ALEXIS FAVROT
MAHOMET
LES SCIENCES CHEZ LES ARABES
PARIS, LIBRAIRIE INTERNATIONALE
A. LACROIX, VERBOECKHOVEN & Cie, ÉDITEURS
1866
On s'est beaucoup occupé dans ces derniers temps de
Mahomet et de la religion qu'il a fondée. M. Barthélemy Saint-Hilaire dans le Journal
des savants, M. Ch. de
Rémusat dans la Revue des Deux Mondes (septembre 1865), ont publié une série d'articles
fort remarquables, où pleine justice est rendue à ce législateur inspiré qui
donnait à sa patrie une religion spirituelle, l'unité nationale, et un
gouvernement, en n'invoquant jamais que la raison et en rejetant loin de lui
cette série de miracles au milieu desquels les anciens cultes ont été imposés à l'humanité.
« Mahomet, dit M. de Rémusat, est un grand homme ; s'il y eut un temps où
c'était hardiesse de le dire, le paradoxe serait aujourd'hui d'en douter ; M. Saint-Hilaire n'hésite pas à en faire un
des plus grands, même un des meilleurs. Après les recherches auxquelles il
s'est livré, après les autorités dont il s'est appuyé, on hésiterait à en
appeler de son jugement. »
En lisant cette appréciation de deux écrivains aussi
distingués, j'ai été frappé de cette réflexion que leurs idées n'étaient point
nouvelles ; qu'elles nous avaient été développées, il y a bien des années, par
un de nos professeurs d'histoire les plus aimés. Voulant en avoir le cœur net,
j'ai relu l’Histoire des Arabes de M. Sédillot. Non-seulement M. Sédillot a jugé Mahomet et le Coran
avec la même indépendance que les deux illustres académiciens, mais il y a
encore ajouté des considérations qui auraient complété admirablement le travail
qu'ils nous ont donné.
S'indignant de l'état de barbarie où sa patrie restait
plongée, rêvant pour elle une organisation autre que celle a laquelle il la
voyait presque irrévocablement condamnée, Mahomet, au milieu des plus cruelles
épreuves, surmonta tous les obstacles ; mais le moment de son triomphe fut peut-être le temps le plus difficile de sa vie. Il avait
besoin de la plus grande circonspection, afin de ménager tous ses prosélytes.
Obligé de traiter avec autant d'affection ceux qui avaient embrassé sa cause par intérêt et ceux qui l'avaient fait par conviction
ou par dévouement, il était mis en demeure chaque jour de prouver la vérité de
sa mission. Toutes les fois qu'on venait lui demander conseil, il lui fallait
avoir sur les lèvres des versets de son Livre divin pour indiquer les règles de
conduite qu'imposait la nouvelle religion. Tous ses actes étaient contrôlés ; sa vie publique, commentée par tous, ne
devait laisser percer aucune contradiction ; une seule aurait suffi pour
détourner à jamais ceux qui, frappés de son assurance, hésitaient encore à voir
en lui un être supérieur au reste des hommes. Sa vie privée n'était un secret
pour personne ; ses faiblesses étaient aussitôt dévoilées ; et, comme si cette
tâche n'était pas suffisante, il avait encore à s'occuper de la direction de
ses plus zélés disciples qui, puisant leurs inspirations dans la société intime
du prophète, devaient montrer à l'univers le type des vrais musulmans.
Lorsque, après bien des vicissitudes, les armes furent
devenues pour Mahomet le plus puissant moyen de propagation, il fut pour lui
d'une urgente nécessité d'y engager, par l'espoir de récompenses dans un autre
monde, tous ceux à qui la perspective d'un riche butin ne suffisait pas. Plus
tard, lorsque sa religion fut assise dans l'Arabie, il dut trouver un emploi à
l'esprit guerrier dont il avait animé les tribus. S'il ne les avait poussées
contre l'étranger, elles se seraient tournées contre elles-mêmes et Mahomet, au
lieu d'être le bienfaiteur de son pays, en eût été le plus funeste ennemi. Il
fut donc forcé, dans l'intérêt même de sa cause, d'exciter l'ardeur belliqueuse
des Arabes; ce qui lui était facile, car il savait manier les ressorts du cœur
humain; crainte, espérance, désir de vaincre, ardeur de mourir, il inspirait
ces divers sentiments à tous selon les besoins du moment. Les chapitres du
Coran dictés à la Mecque respirent le langage de la tolérance. A Médine il n'en
est plus de même; le musulman devient un soldat au service de Dieu qui lui a
donné le monde en partage et s'enrôle par conscience. Le maniement des armes
est pour lui un acte de religion ; en cas d'attaque de la part des infidèles,
il est du devoir des musulmans de quitter à l'instant leurs affaires
particulières et, sans attendre aucun ordre, de venir de la distance de trente
lieues secourir le point menacé.
Tous doivent rejoindre l'armée approvisionnés et
équipés pour la campagne ; ordre leur est donné de résister individuellement
jusqu'à la dernière extrémité à un ou à plusieurs ennemis : le paradis est
devant eux et l'enfer derrière. Mahomet ne néglige rien pour organiser la
victoire. Ses Arabes combattront sur le soir pour se couvrir de la nuit en cas
d'échec et profiter de la fatigue d'un ennemi tenu en éveil pendant les
chaleurs du jour. Chez eux, la vie des camps prend un caractère grave et
sérieux ; les jeux de hasard, les passe-temps frivoles, les conversations
oiseuses sont défendues aux soldats. Un sujet de morale, la piété, la probité,
la crainte de Dieu doivent être la base de tous les entretiens ; la dévotion
armée de ces braves exclut toute idée d'excès ; l'usage du vin est puni avec
rigueur. Au milieu du fracas des armes, on se livre aux exercices d'un culte
dont la simplicité est calculée.
Comment s'étonner, après cela, que les Arabes, se
précipitant sur des nations dégénérées, soient devenus les maîtres du monde, et
que ce général victorieux, arrivé à la dernière limite de l'Afrique
occidentale, se soit écrié, dans son enthousiasme, en présence de l'Océan : Dieu
de Mahomet, si je n'étais pas arrêté par ces flots, j’irais porter la gloire de
ton nom jusqu’aux confins de l'univers.
LES SCIENCES CHEZ LES ARABES. – ÉCOLE DE BAGDAD.
Lorsque les Arabes furent devenus les maîtres du
monde, ils cultivèrent les lettres et les sciences à une époque où elles
étaient complètement négligées en Europe. Au moment même où Charlemagne faisait
de vains efforts pour en ranimer l'étude, les Khalifes leur accordaient une protection
plus efficace. Réunissant près d'eux les hommes les plus éclairés des pays
soumis à leur domination, ils faisaient traduire du grec et du latin les
ouvrages les plus importants, formaient de vastes bibliothèques et instituaient
des écoles publiques où l'on commentait les livres d'Aristote, Hippocrate,
Galien, Dioscoride, Euclide, Apollonius, Archimède, Hipparque et Ptolémée, dont
plusieurs nous ont été transmis par la version arabe avant qu'on en eût
découvert dans des dépôts ignorés les originaux. A Bagdad, capitale du nouvel
empire, s'élevaient des académies où se traitaient des questions qui ne
pouvaient intéresser que les esprits éminents et cette école célèbre à laquelle
on doit les plus beaux monuments de l'astronomie du moyen-âge. C'est ainsi que
disparaissaient peu à peu les dernières traces de la barbarie des premiers
successeurs de Mahomet qui ne songeaient qu'à étendre leurs conquêtes.
Etrangers aux lettres, ils avaient ravagé l'Asie et
l'Afrique, des bords du Gange jusqu'à l'Océan atlantique, soumis l'Espagne et
la Gaule méridionale; ils n'avaient pu être arrêtés dans leur marche
triomphante que par les armes de Charles Martel, en 732.
Sous les khalifes Abbassides, comme on l'a fort bien
dit, une noble émulation et, par-dessus tout, l'exemple et la protection du
souverain dissipèrent l'ignorance et la grossièreté que l'on pouvait reprocher
aux Arabes.
L'on vit naître alors ce grand nombre d'écrits de tout
genre, source d'une infinité d'autres qui ont fait de la langue arabe la langue
savante de l'Orient et de tous les Etats musulmans.
Tous ces écrits, imparfaitement connus, subsistent
encore et composent une des plus riches littératures qui aient jamais été mises
en lumière.
Il y a cependant des esprits prévenus qui se refusent
à l'évidence et aux enseignements de l'histoire.
On lit dans un des derniers cahiers de la Revue
orientale : « On a pu
croire, jadis, que la société arabe du moyen-âge a compté dans son sein un
certain nombre de savants, profonde erreur dont on reviendra, je l'espère ; il
y a sans doute quelques exceptions, je les cherche et ne les vois pas ; chaque
investigation nouvelle ajoute à ma désillusion. »
L'auteur de ces lignes n'a qu'à parcourir le livre VI
de l'histoire des Arabes de M. Sédillot, il reconnaîtra avec Humboldt, Arago,
Chasles, de l'Académie des sciences, et bien d'autres, que l'Ecole arabe a
existé, qu'elle a brillé du plus vif éclat, et que nous lui devons tous les
éléments de notre civilisation moderne. Il ne porte évidemment ses regards que
sur l'empire ottoman, et il croit que l'influence pernicieuse du Coran a
étouffé l'essor philosophique chez tous les peuples qui en pratiquent les
préceptes. Mais il ne s'aperçoit pas que toutes les religions mal interprétées
ont toujours produit des résultats diamétralement opposés à ceux que l'on
pouvait en attendre. Est-ce que des prêtres fanatiques n'ont pas fait de Jésus,
cette angélique figure, un moloch altéré de sang et, comme le dit si bien
M.Renan, avide de chair brûlée? Les docteurs de la foi musulmane ont aussi
abusé de quelques passages du Coran, pour assurer leur domination sur des
masses ignorantes et ils ont créé ce fatalisme insensé qui comprime les
intelligences et réduit l'homme à l'état de brute; mais s'ils ont triomphé des
races turque et berbère, il n'en est pas de même de la race arabe proprement
dite.
Il faut bien reconnaître qu'aujourd'hui l'élément
arabe n'existe plus en Afrique, où, à de bien rares exceptions près, nous
sommes en présence des Kabyles, c'est-à-dire de ces barbares désignés dans
l'histoire sous le nom de Maures indépendants, et des Coulouglis (enfants des
Turcs); ils ont embrassé l'islamisme, mais ils l'interprètent dans le sens le
plus étroit.
Il en est de même des Turcs d'Europe et d'Asie,
d'origine scythique, descendants de ces nations qui vivent dans l'état sauvage
et n'adorent d'autre Dieu qu'un sabre nu planté en terre. Ils sont devenus, il
est vrai, musulmans, mais dans la plus mauvaise acception du mot et ils
conservent leur caractère primitif. La race arabe, au contraire, fière et
énergique, fidèle à ses mœurs patriarcales, semble douée d'une éternelle
jeunesse, elle est capable des plus grandes choses quand une idée élevée la
domine ; son genre de vie, ses passions généreuses, son noble orgueil, son
intelligence expliquent le rôle qu'elle a rempli dans les trois parties du
monde d'une manière si différente des Tartares du Nord.
Les Arabes sont-ils restés étrangers à tout esprit de
philosophie? voilà ce qu'il importe d'abord d'éclaircir.
On a prétendu qu'une religion fondée sur la lettre
même du Coran ne pouvait permettre à l'intelligence de se développer et de
prendre un libre essor ; mais cette opinion provenait encore de l'ignorance des
sources.
Il est aujourd'hui constant que la scolastique du
moyen âge a été puisée dans les écrits des Arabes qui ont eu leurs réalistes, leurs nominalistes, leurs conceptualistes, etc. En premier lieu ils traduisirent
Aristote, mais ils ne se bornèrent pas à le commenter ; ils connaissaient le Phédon, le Cratyle de Platon et son ouvrage sur les lois, ils
possédèrent plusieurs livres attribués à Pythagore ; ils avaient des notions
très exactes sur ce qu'ils appelaient la seconde partie de l'histoire de la
philosophie ; ils s'appuyaient particulièrement sur Thémistius, Alexandre Aphrodisias,
Ammonius et Porphyre, Apollonius de Thyane, Plutarchus, etc. ; ils forment donc
la chaîne qui joint l'ancienne philosophie à la scolastique.
Parmi leurs sectes principales nous citerons seulement
les motazélites, qui
plaçaient les exigences de la raison au-dessus de la foi, et qui trouvèrent
dans les khalifes Abbassides l'appui le plus ferme ; c'est ce qui explique le
grand mouvement scientifique de l'Ecole de Bagdad à partir du IXème siècle ; le
Coran à cette époque n'était donc pas un obstacle aux progrès de l'intelligence
humaine.
L'auteur de l'article de la Revue orientale que nous
avons cité, avoue que « l'Arabe ne copie pas servilement comme plagiaire,
mais en toute liberté, divisant ou réunissant à son gré les séries d'idées et
introduisant dans l'ensemble ses propres opinions et ses souvenirs ; » c'est là le véritable caractère du savant
qui indique clairement tout ce qui a été fait avant lui et qui ajoute aux
travaux de ses devanciers ses propres découvertes.
Il s'étonne de la fécondité des barbarismes avec
laquelle les écrivains arabes estropient les noms propres et communs ; et,
chose merveilleuse ! il ne se demande pas si nous ne serions pas les seuls
coupables. Ainsi les Arabes ont traduit le nom d'Hipparque par Ibbarkhos, et dans Ibbarkhos nous avons vu Abrachis ; pour Licinius, nous lisons : Lekakious,
Labkhious, Lagthions, Lanthious, Laksinous : à qui la faute? N'est-ce pas nous qui avons rendu,
comme cela a été rappelé tout récemment, Aboubelcre par Albubater, Abou-Merwan par Abhomeron, Ibn-Rosch par Averroes, Aboul-Hassan par Ellachasem, semt par zénith, Tabulae astronomicae par centus Almamonis, emir albahr par amiral, etc. ?
N'a-t-on pas imprimé dans le dictionnaire de Dezobry
l'almanach d'Aboul-Wefa au
lieu de l'almageste! Ne
nous montrons donc pas si sévères pour les autres et si indulgents pour
nous-mêmes.
Le fait est que les khalifes Almanzor,
Haroun-Alraschid et Almamoun, l'Auguste des Arabes, ont les premiers encouragé
l'étude des sciences dans leurs Etats; le dernier de ces princes surtout a
donné une vive impulsion à l'astronomie, en ordonnant la révision de l'Almageste de Ptolémée, et en faisant faire de nouvelles
observations par une commission composée des savants les plus habiles.
Un siècle plus tard, le célèbre Aboul-Wefa rédigeait
un nouvel almageste qui
résumait celui de Ptolémée, en y ajoutant des découvertes mathématiques du plus
haut intérêt, et la détermination de la troisième inégalité de la lune. J.-B. Biot, au nom duquel le jugement de la
postérité a déjà attaché le mot: mala fides, a voulu ne voir dans Aboul-Wefa qu'un copiste
servile de Ptolémée ; mais M. Chasles, de l'Académie des sciences, qui, pour
l'histoire des mathématiques, a déjà reçu le surnom de second Montucla, a réduit à néant les assertions passionnées
de son ancien confrère dans deux dissertations d'une incontestable évidence.
Les Arabes, en astronomie, ont marqué leur passage par
des progrès incontestables et rempli avec éclat l'immense intervalle qui sépare
les écoles d'Athènes et d'Alexandrie de l'Ecole moderne. Arago, dans son Traité
d'astronomie populaire,
Humboldt, dans son Cosmos,
l'ont surabondamment constaté.
Les mathématiques pures ont été cultivées par les
Arabes avec un égal succès ; MM. Sédillot père et fils, MM. Wœpcke, Chasles,
Buoncompagni, W. Morley, etc., ont mis en relief leurs travaux les plus
importants.
Nous ne pouvons mieux compléter ce tableau qu'en
reproduisant les passages suivants d'un mémoire (Mélanges d'histoire et de
philologie orientale) du plus
illustre de nos orientalistes, après Silvestre de Sacy, Etienne Quatremère, qui
maintenait la France au premier rang dans cette branche si importante de
l'érudition.
« M. Sédillot, marchant sur les traces de son père,
poursuit avec une ardeur infatigable et un zèle d'autant plus méritoire qu'il
n'est pas suffisamment apprécié, le projet de passer en revue les travaux que
les Orientaux ont exécutés sur les sciences mathématiques. Il veut prouver avec
évidence que les astronomes arabes ont contribué d'une manière notable aux progrès
de cette belle science. M. Sédillot père avait rendu un service signalé en
faisant connaître à l'Europe les astronomes arabes et persans. La mort ne lui
permit pas de publier ses travaux dont il se borna à communiquer les résultats
au savant Delambre, qui les consigna dans son Histoire de l'astronomie du
moyen-âge. M. Sédillot fils, non content de compléter ces travaux, en a
prodigieusement étendu le champ et s'est livré à des recherches aussi
nombreuses qu'intéressantes sur l'histoire des sciences mathématiques, chez les
Orientaux ; plusieurs ouvrages ont été publiés par lui sur cette matière. L'un
des plus remarquables est à coup sûr son Mémoire sur les instruments
astronomiques des Arabes. Je n'ai pas besoin d'indiquer les autres ouvrages et
opuscules que sa plume a produits et dont aucun n'est inconnu aux amateurs
éclairés de la littérature orientale. »
Les sciences physiques avaient acquis chez les Arabes
un aussi grand développement que les sciences mathématiques ; ils doivent
en être regardés, dit Humboldt, comme les véritables fondateurs, en prenant
cette dénomination dans le sens auquel nous sommes habitués aujourd'hui. Sans
doute, ajoute-t-il, dans le domaine de l'intelligence, l'enchaînement intime de
toutes les idées rend très difficile d'assigner l'époque précise de leur
naissance ; de bonne heure on voit briller çà et là quelques points lumineux
dans l'histoire de la science et des procédés qui peuvent y conduire. Quel long
temps s'écoula entre Dioscoride, qui extrayait le mercure du cinabre, et le
chimiste arabe Djeber, entre les découvertes de Ptolémée en optique et celles
d'Alhazen ! Mais les sciences naturelles ne peuvent être considérées comme
fondées que du moment où un grand nombre d'hommes marchent de concert dans les
voies nouvelles, bien qu'avec un succès inégal.
Après la simple contemplation de la nature, après
l'observation des phénomènes qui se produisent accidentellement dans le ciel et
sur la terre, viennent la recherche et l'analyse de ces phénomènes, la mesure du mouvement et de l'espace dans lequel il s'accomplit.
« C'est à l'époque d'Aristote que pour la première
fois fut mis en usage ce mode de recherches ; encore resta-t-il borné le plus
souvent à la nature organique. Il y a dans la connaissance progressive des
faits physiques un troisième degré plus élevé que les deux autres : c'est
l'étude approfondie des forces de la nature, de la transformation à laquelle
ces forces travaillent et des substances premières que la science décompose
pour les faire entrer dans des combinaisons nouvelles. Le moyen d'opérer cette
dissolution, c'est de provoquer soi-même et à son gré les phénomènes ; en un
mot, c'est l’expérimentation.
»
Les Arabes s'élevèrent à ce troisième degré sur lequel
notre savant physiologiste, M. Claude Bernard, vient de publier un livre si
admirable (Introduction à l'étude de la médecine expérimentale, 1865.). Ils s'attachèrent aux faits
généraux, et ils créèrent la pharmacie chimique, dont les premières prescriptions magistrales,
nommées aujourd'hui dispensatoires, se répandirent par l'école de Salerne dans l'Europe méridionale.
La chimie prend chez les Arabes d'importants
développements ; on trouve dans eurs écrits la composition de l'acide
sulfurique, de l'acide nitrique, de l'eau régale, la préparation du mercure et
d'autres oxydes de métaux, la fermentation alcoolique, etc.
Avec les progrès de la géographie qui devint une
véritable science, la botanique ne pouvait rester stationnaire. L'herbier de
Dioscoride fut augmenté de plus de 2000 plantes. Les Arabes eurent des jardins
botaniques ; ils propagèrent l'usage de la rhubarbe, de la pulpe de tamarin et
de cassia, de la manne, des feuilles de séné, des mirobolans et du camphre.
L'emploi du sucre, qu'ils préféraient au miel des
anciens, les conduisit à une foule de préparations salutaires et agréables :
des sirops, des juleps, des conserves de fruits et des électuaires. On doit aux
Arabes des aromates tels que la noix de muscade, le clou de girofle. Ils
portèrent l'agriculture au plus haut point de perfection ; ils n'avaient point
d'égaux pour les procédés d'irrigation ; on connaît aujourd'hui le traité si
complet d'Ibn- Awan, que vient de traduire M. Clément Mullet. Ajoutons à ce nom
célèbre ceux de Caswini, le Pline des Orientaux, et d'Aldemiri, le Buffon des
Arabes.
MÉDECINE.
Mais c'est en médecine que nous avons à constater les
travaux les plus remarquables; les écrits de Rhazès et d'Avicenne ont longtemps
dominé dans nos écoles ; avant eux, Mesué avait composé des traités très
estimés : les démonstrations
en 30 livres, une pharmacopée, de véritables monographies sur les fièvres, les
aliments, les catarrhes, les bains, les céphalalgies, etc.
Honain, qui florissait aussi au IXème siècle, ne fut
pas moins célèbre. C'est à lui qu'un khalife demanda un poison assez subtil
pour donner la mort à l'instant : « Je ne connais, répondit-il, que des médicaments salutaires et
n'en indiquerai jamais d'autres.
»
Rhazès de Reï florissait au commencement du Xème
siècle. Il dirigea longtemps les grands hôpitaux de Bagdad et publia plus de
deux cents ouvrages, un corpus médical, des traités sur la rougeole et la
petite vérole. Il introduisit l'usage des minoratifs ou purgatifs doux et des
préparations chimiques appliquées à la médecine. Il passa pour être l'inventeur
du séton. Il attachait beaucoup d'importance à l'anatomie ; atteint dans sa
vieillesse d'une cataracte, il ne voulut se faire opérer que par un chirurgien
capable de lui dire combien l'œil avait de membranes.
Avicenne (Ebn Sina), un des hommes les plus
extraordinaires de son siècle, écrivit sur toutes les sciences. Ses Canons ou Règles , divisés en cinq livres, traduits
et imprimés plusieurs fois, ont longtemps servi de base aux études médicales
dans les universités de France et d'Italie. Il mourut en 1037.
Albucasis (Aboul Cassem) fut le promoteur de la
chirurgie. Il donna une description très précise des instruments et indiqua la
manière de s'en servir. Pour la lithotomie, il indiqua le lieu d'élection de
nos chirurgiens modernes.
Aben Zoar (Ebn Zohr) ramena (vers 1130) la médecine
aux lois de l'observation. On lui doit de sages préceptes sur les luxations et
les fractures, la description de quelques maladies nouvelles, telles que
l'inflammation du médiastin, du péricarde, etc. On raconte que son fils ayant
accompagné Yousef au Maroc, celui-ci fit venir secrètement de Séville la
famille de son médecin, la logea dans une maison toute semblable à celle
qu'elle occupait en Espagne, et le jeune Aben Zoar, appelé comme en
consultation, fut agréablement surpris du spectacle qui l'attendait. Peu de
princes ont montré une semblable délicatesse de procédés.
Averroës enfin composa des commentaires sur les Canons d'Avicenne, des traités sur les fièvres, etc.
Son principal ouvrage a été imprimé à Venise sous le titre de Collyget, en 1490.
Le docteur Amoreux de Montpellier a donné en 1805 un
essai historique et littéraire sur la médecine des Arabes, qui se trouve
analysé dans l'ouvrage de M. Sédillot. On est surpris du nombre considérable de
médecins qui ont laissé un nom célèbre dans tout l'Orient. Nous leur devons les
élixirs, les potions, les bols, les pilules dorées ; c'est aux Arabes que nous
avons emprunté les alambics, cornues, aludels, etc. Cette nomenclature, aussi
bien que la nomenclature astronomique, est toute arabe. Quand on pense que
l'Espagne et le midi de la France ont été pendant plusieurs siècles sous la
domination arabe, on ne peut être surpris que nous ayons fait bien des emprunts
à leur langue. Le grand dictionnaire de la langue française de M. Littré
laissera, sous ce rapport, au point de vue des étymologies, beaucoup à désirer.
Non-seulement l'influence arabe s'est fait sentir parmi nous au VIIIème siècle
de notre ère, mais à diverses époques l'expulsion des Maures de l'Espagne a
fait émigrer en France de nombreuses tribus qui se sont répandues jusqu'en
Auvergne. M. Amiel, en 1853, avait proposé au comité de publication des comités
historiques de faire imprimer la correspondance relative à l’entrée sur notre territoire des Arabes exilés d'Espagne sous Henri IV (1603). On
aurait pu étudier ainsi l'influence et les résultats de cette nouvelle
immigration, si intéressante pour l'ethnographie et la linguistique. L'esprit
étroit de quelques universitaires a fait échouer ce projet.
Que devait-on attendre des Vadius et des Trissotins de notre époque !
NOTICES BIOGRAPHIQUES SUR LES MÉDECINS ARABES LES PLUS CÉLÈBRES
DJEBER ou GEBER.
Geber, surnommé l'Arabe, était né à Séville en
Espagne, vers la fin du VIlème siècle. Son nom veut dire géant et roi ; c'est sans doute le motif qui lui a fait attribuer
une origine princière.
Geber se distingua surtout comme alchimiste. On le
considère comme un des premiers réformateurs de la chimie. Paracelse, qui n'a
eu pour tous ses devanciers et contemporains que mépris et dédain, appelait
Geber, le maître des maîtres en cet art. Boerhaave, dans ses Institutes de chimie, parle avec beaucoup de considération de ses
travaux. Il y signale avec admiration plusieurs expériences que l'on a fait
passer plus tard pour des découvertes. Leur exactitude est en effet
remarquable, si toutefois l'on en excepte les opérations relatives à la pierre
philosophale. Ainsi Geber traite de la nature, de la purification, de la fusion
et de la malléabilité des métaux, des propriétés des sels et des eaux fortes.
L'or, suivant lui, guérit la lèpre et toutes sortes de
maladies; il le place en tête des métaux, comme étant celui qui se porte le
mieux, tandis que les métaux
inférieurs, comme l'antimoine
par exemple, sont des lépreux.
Comme astronome, il corrigea plusieurs erreurs dans l’Almageste de Ptolémée et donna une exposition de son
système. Quelques-uns lui ont attribué l'invention de l'algèbre, qui lui aurait
emprunté son nom.
Parmi ses nombreux ouvrages on peut citer les suivants
: De Lapide Philosophico. De Invenienda arte auri et argenti. De Summa
perfectionis magisterii in sua natura, etc. Ces ouvrages ont été traduits et publiés en anglais à Leyde, en
1668, par Richard Russell.
SÉRAPION.
Sérapion est de tous les médecins arabes celui qui
s'est le plus occupé des plantes et des drogues. Il a publié, vers la fin du
IXème siècle, un ouvrage dont les éléments lui ont été donnés par 79 auteurs
qu'il a cités dans ses écrits. Dioscoride, Galien, Alexandre de Tralles sont
ceux surtout qui lui ont fourni le plus de matériaux.
Il ne traite de la cure des maladies qu'autant que le
régime et les médicaments y contribuent. En fait de chirurgie, il cite la lithotomie et même la néphrotomie pour en signaler seulement les dangers.
ALKINDI (JACQUES).
Ce médecin vivait au commencement du Xème siècle. Il
passe pour l'inventeur des trochisques. Il avait un goût particulier pour la
matière médicale.
Alkindi prétendait expliquer et même déterminer les
vertus des remèdes d'après l'arithmétique et la musique. Il veut, par exemple,
que l'action des purgatifs soit combinée de façon qu'elle soit en
rapport exact avec les humeurs d'une maladie quelconque.
Son ouvrage : De Medicinarum composiiarum gradibus investigandis
libellus, a été réédité un
grand nombre de fois. Suivant Jean Pic il est, avec Roger Bacon et Guillaume,
évêque de Paris, l'un des trois hommes qui se soient appliqués à la magie
naturelle et permise.
RHAZÈS.
Rhazès ou Rasis, dont le nom arabe est Abou Becar
Mohammed, et par corruption, Abubeter, Albubeter et Abubater, était fils d'un
marchand de la ville de Ray (Réï) en Perse. Il étudia la philosophie et la
médecine à l'école de Bagdad.
De là, il passa au Caire, puis à Cordoue où il fut
attiré par les sollicitations d'un homme puissant, riche et savant, nommé
Almanzor.
Ses connaissances étendues lui valurent la direction
du grand hôpital de Bagdad. Plus que ses devanciers il étudia la nature; son
goût pour cette partie essentielle de l'art lui mérita le surnom d'Expérimentateur. Le savoir de ce médecin s'étendit aussi à
l'astronomie et à l'alchimie.
On a de lui dix livres (libri continentes) dédiés à son bienfaiteur Almanzor, six
livres d'aphorismes et quelques autres traités ou mémoires. Ses continentes sont un corps entier de médecine suivant
l'auteur, aussi complet que celui d'Hippocrate.
Son livre sur les maladies des enfants est estimé et
constitue le premier ouvrage qui traite expressément de ce sujet. Ses
descriptions sont courtes, l'énumération des remèdes, au contraire, prolixe. Ce
défaut est d'ailleurs commun à tous les médecins arabes.
Son traité de la Peste (de Pestilentia), maladie qui se montra en Egypte vers 634,
prouve que Rhazès était un grand savant par rapport à son siècle. Aucun de ses
ouvrages n'eût plus de réputation que son 9ème livre sur les fièvres et les
maladies contagieuses. Cet ouvrage servit longtemps de guide dans les
Universités.
Ainsi, à Louvain, il est particulièrement recommandé
aux professeurs par l'archiduc Albert et la princesse Isabelle, qui visitèrent
cette ville en 1717.
Les plus célèbres professeurs de l'Europe ne se
contentèrent pas d'expliquer les ouvrages de Rhazès : ils travaillèrent à les
éclaircir par de nombreux commentaires. Ils ne s'apercevaient pas qu'ils
négligeaient ainsi les auteurs grecs que Rhazès avait copiés.
Cet enthousiasme dura très longtemps.
Ce n'est qu'à la Renaissance des lettres que les
esprits, revenant à l'étude de la langue grecque, découvrirent les sources où
la médecine arabe avait puisé.
Rhazés passe pour l'inventeur des sétons. Il se servait
des ventouses dans l'apoplexie, d'eau froide dans les fièvres continues et il
en faisait boire abondamment à ses malades; il saignait dans la petite vérole
et la rougeole, purgeait beaucoup dans la lèpre, employait les acides et la
diète végétale contre la peste. Enfin il condamnait tous les remèdes chauds
dans la pleurésie.
Passant un jour dans les rues de Cordoue et voyant un
rassemblement, il s'approcha et vit un homme tombé mort.
L'ayant examiné, il fit apporter des verges, les
distribua à ceux qui l'entouraient, en garda une pour lui et exhorta les
assistants à l'imiter. Il se mit aussitôt à frapper sur toutes les parties du
corps et principalement à la plante des pieds. Les autres en firent autant;
mais
le reste de la foule les croyait fous. Au bout d'un quart d'heure, le
moribond commença à se remuer et revint à lui, au milieu des acclamations du
peuple qui criait : au miracle ! Rhazès avait vu ce moyen produire le même
résultat pendant son voyage de Bagdad en Egypte.
Rhazès perdit la vue à l'âge de 80 ans. Il mourut peu
de temps après.
AVICENNE.
Le véritable nom d'Avicenne est Abou-Ali Alhoussain
ben-Ali benSina, c'est-à-dire, Houssain, père d'Ali, fils d'Ali,
fils de Sina. De ce dernier mot, Abensina, on a fait Avicenne. Il
naquit à Bokhara l'an 370 de l'hégire, ou 980 de l'ère chrétienne.
Dès sa jeunesse, il s'adonna à l'étude de la
philosophie, des mathématiques, et à l'âge de seize ans, il possédait déjà
Euclide et la plupart des auteurs qui ont écrit sur ces sciences. Il avait
appris par cœur tout le Coran, et le sultan Cabous lui confia sa bibliothèque.
Il se mit alors à lire les auteurs qui ont écrit sur la médecine; il s'attacha
tellement à cette étude qu'il y consacrait même les nuits. Ses ouvrages
intitulés : Canons ou Règles ont paru sous le titre : Opera omnia, en 1484.
Les écrits d'Avicenne furent très répandus en Asie ;
ils étaient même, aux XIIème et XIIIème siècles, encore très en vogue,
principalement dans les Ecoles. Il fut, avec Rhazès, l'un des auteurs qui ont
régné dans les Universités d'Europe jusqu'à la Renaissance des lettres. C'est
surtout à Montpellier que sa doctrine fut suivie longtemps. Naguère encore il y
avait des partisans. On comprend qu'il en ait été ainsi, puisque l'origine de
cette Ecole remonte aux médecins arabes.
Dans les dernières années de sa vie, Avicenne se
retira à Ispahan, nouvelle Capoue dont les délices lui firent perdre le goût du
travail. Entraîné par ses passions, il se livra à toutes sortes d'excès, ce qui
faisait dire de lui : La philosophie n'a pu lui apprendre à vivre, ni la
médecine à conserver sa santé.
Il mourut à Médine, en 1036.
MÉSUÉ.
Mésué était fils d'un apothicaire de Nisabour,
capitale de la province de Khorasan, en Perse. Son goût pour les sciences se
déclara de bonne heure. La profession de son père lui inspira l'idée d'étudier
la médecine. Au sortir de l'école, Mésué fut chargé de l'hôpital de sa ville
natale. Quelques années après, il passa à Bagdad où il se fit beaucoup de
disciples. Le khalife Haroun-al-Raschid, l'admirateur de Charlemagne auquel il
envoya de magnifiques présents, choisit Mésué pour accompagner le vice-roi, son
fils, surnommé Al-Mamoun, dans la province de Khorasan.
Son influence sur ce prince fut si grande que, dès son
avènement au trône, le nouveau khalife fit convoquer un nombre de savants
étrangers et se fit donner, par eux, la liste des meilleurs ouvrages écrits en
diverses langues. Il les fit traduire en arabe et Mésué fut chargé de ce même
soin pour les auteurs grecs apportés de différentes contrées.
C'était la première fois que les ouvrages de Galien et
d'Aristote étaient
traduits en arabe.
On cite 37 volumes écrits par ce médecin. Nous ne
connaissons guère que ses travaux sur les médicaments purgatifs, les décoctions
et quelques autres sujets de matière médicale.
AVENZOAR.
Abu-Meron Avenzoar, Abhomeron Abynzohar et Aben-Zohr
Alandalausi sont les principaux noms attribués à ce médecin arabe qui vécut
entre Avicenne et Averroès, c'est-à-dire jusqu'au commencement du XIIème
siècle. Il était petit-fils de médecin. Il se fixa à Séville où il s'appliqua à
toutes les branches de l'art de guérir, quoique ce ne fût pas dans les
habitudes de son temps. Peu partisan des opérations sanglantes, il les
conseilla cependant à ses disciples.
Un préjugé national lui faisait regarder l'opération
de la pierre comme indécente
et contraire aux principes de sa religion.
Il a laissé un ouvrage : Liber theisir, qui contient toutes les règles pour l'emploi
des remèdes et de la diète.
Abenzoar découvrit plusieurs maladies inconnues à ses
prédécesseurs, savoir : les inflammations du médiastin, du péricarde,
l'hydropisie du cœur (hydropéricarde), etc. C'est à tort qu'on lui attribue la
première idée de la bronchotomie puisque le médecin arabe Aaron, d'Alexandrie,
avait déjà décrit cette opération.
Si les historiens qui ont parlé d'Abenzoar sont
exacts, il aurait vécu jusqu'à l'âge de 135 ans.
AVERROÈS.
Averroès, Averrhoès ou Aven-Roes, en arabe Aboul-Valid
Mohammed ben Roschd, né à Cordoue, en Espagne, était en réputation vers le
milieu du XIIème siècle.
Il s'adonna à l'étude des lois, des mathématiques et
de la médecine. Il se rendit célèbre par sa générosité, par la vivacité de son
esprit et la grande subtilité de son raisonnement. Il avait une prédilection
pour la philosophie et les doctrines d'Aristote. Ses ouvrages sont tellement
empreints des principes aristotéliques qu'on l'a surnommé le commentateur de
l'âme d'Aristote.
Dans son Abrégé de médecine, il observe que l'on ne peut avoir la petite
vérole qu'une seule fois. Galien lui servait de modèle dans sa pratique qui ne
paraît pas avoir été très étendue. Ses ouvrages cependant eurent beaucoup de
réputation, comme le prouvent les nombreuses éditions qui en ont été faites ;
tels sont les traités ou livres : De Theriaca tractatus. De venents liber.
De simplicibus medecinis. De febribus liber.
On reproche à Averrhoès son irréligion. Les dogmes
chrétiens n'avaient aucune valeur à ses yeux, à cause du mystère de
l’Eucharistie. Les préceptes
et observances légales des Juifs étaient à ses yeux une religion d'enfants. Celle des Mahométans, qui ne s'attachait
qu'à satisfaire les sens, une religion de pourceaux.
Ses croyances religieuses se résumaient à ce principe
: Moriatur anima mea morte philosophorum! Ce qui veut dire : Que mon âme meure de la mort des
philosophes !
Plusieurs conciles interdirent aux chrétiens la
lecture des ouvrages d'Averroès.
Ajoutons que ces mêmes ouvrages et en particulier les
idées philosophiques d'Averroès ont été, en 1853, de la part de M. Ernest
Renan, l'objet d'une publication très intéressante.
ALBUCASIS.
Les noms arabes de ce médecin sont : Abul-Casem-Chalaf
Ben-al-Abbas-Alza-haravi. Il est connu aussi sous ceux de Bulcasis, Bulchasis.
Albuchasius. Il vécut dans le XIIème siècle; on lui attribue une méthode
intitulée : Al-Tasrif.
L'auteur parait s'y être inspiré des écrits de Rhazès et de Paul d'Egine. Il
n'en est pas de même de son livre sur la chirurgie dont il a été le
restaurateur. Il passe pour le plus éminent des chirurgiens arabes. Il est le
seul qui ait donné la description et l'usage des instruments de chirurgie tout
en indiquant les difficultés et les dangers qui se rattachaient à telle ou
telle opération.
Il paraît avoir possédé quelques connaissances
anatomiques. Suivant lui, c'est une témérité que de se mêler de faire des
opérations quand on ne connaît pas parfaitement les différentes parties du
corps humain. Ainsi, en décrivant la lithotomie, il a indiqué le même lieu
d'élection que choisirent plus tard, pour la taille latérale, Frère Jacques et
Raw. Malgré l'importance de ses découvertes, sa réputation ne paraît pas avoir
été très étendue puisque les historiens arabes en font à peine mention.
BEITHARIDES.
Né à Malaga dans le XIIème siècle, ce médecin est
connu sous le nom arabe d'Aben-Bitar Abdallah ben Ahmad Aboul-Féda.
Passionné pour l'étude des plantes, il visita
l'Afrique et presque toute l'Asie. A son retour des Indes, il se rendit au
Caire et entra au service de Saladin , le premier des soudans d'Egypte.
Après la mort de ce prince, en 1193, on prétend qu'il
fut nommé premier vizir du sultan de Damas, Malek-Al-Kamel. Il a laissé
plusieurs ouvrages, entre autres celui intitulé : Mofredato Thabbi, divisé en trois livres et dans lequel il
traite des médicaments simples, et de tous les corps naturels qui servent dans
les arts ou comme aliments. Il donne une description assez exacte de tous les
médicaments dont Pline, Dioscoride, Sérapion, Mésué, n'avaient point parlé. Il
en fait l'énumération sous leurs différents noms arabes, grecs et barbares.
En parlant des plantes, il s'étend sur leurs fleurs,
leurs feuilles. Quant aux animaux, il fait connaître leur caractère, leurs
maladies. Il s'occupe également de ce qui concerne l'art du vétérinaire,
science très considérée à la cour des princes sarrasins et qui, sans doute,
contribua à son élévation au vizirat.
Les ouvrages de Beitharides existent en plusieurs
volumes dans la Bibliothèque de Leyde. La plupart ont été traduits en syriaque
pour l'usage des médecins juifs.
Bochart a profité de son histoire des plantes pour
composer le traité des animaux dont il est parlé dans l'Ecriture.
Les travaux de ce médecin méritaient assurément une
traduction, car après Sérapion et Mésué, dont nous avons parlé, il doit être
regardé comme un des principaux fondateurs de la matière médicale.
Beitharides mourut vers l'an 1248, à Damas suivant les
uns, à La Mecque et même à Malaga suivant d'autres.
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Cet aperçu biographique met en évidence l'erreur
soutenue par certains auteurs, que les Arabes avaient dédaigné l'étude de la
médecine grecque. Nous avons fait voir que les khalifes avaient encouragé les
traductions des livres grecs et syriens, afin de répandre parmi leurs sujets la
littérature, la philosophie et les sciences des anciens. Il est vrai que plus
tard les médecins arabes abandonnèrent les principes de l'Ecole hippocratique
pour suivre les préceptes de Galien. Ils se sont fait remarquer surtout par
leur esprit d'observation, mais aussi par leur attachement aux croyances
superstitieuses. En leur défendant de troubler le repos des morts, leurs dogmes
religieux les mirent dans l'impossibilité d'acquérir une connaissance
suffisante du corps humain pour tenter les opérations. Ils ont donc dû s'en
tenir, pour l'anatomie, à ce que les médecins grecs et syriens leur avaient
appris sur cette branche de l'art de guérir.
Les progrès de la médecine arabe portent
principalement sur la pathologie et la matière médicale ou chimie. C'est ainsi
qu'on leur doit, d'une part, la découverte de plusieurs maladies que nous avons
déjà signalées ; d'autre part, celle des loochs, juleps, trochisques, bols ou
pilules argentées et dorées, etc.
A côté de ces perfectionnements utiles, nous voyons
avec regret les Arabes attribuer une influence médiatrice et préservatrice à
leurs talismans, représentant telle ou telle figure, aux amulettes des Grecs et
aux abracadabras des auteurs du Bas-Empire. Avouons, à ce sujet, que ces
défaillances ont toujours existé et qu'elles exerceront toujours leur influence
sur les esprits crédules. Ne voyons-nous pas, aujourd'hui même, les tireuses de
cartes, les rebouteurs, les somnambules, enfin les Barnum de tous les métiers
en imposer à la foule et se faire une réputation universelle!!!
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