dimanche 2 juin 2013

STEINER Rudolf - La Science occulte - 1914

STEINER Rudolf - La Science occulte - (Perrin - 1914)

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PRÉFACE DE LA QUATRIÈME ÉDITION
  Celui qui entreprend d’exposer des résultats de recherches occultes comme ceux que relate l’ouvrage présent, doit s’attendre à ce que dans notre temps son entreprise apparaisse comme impossible à presque tout le monde. Il est question de choses dont les lois de la pensée admises à notre époque ont décidé qu’elles sont inaccessibles à l’intelligence humaine. Si l’on connaît et apprécie les motifs qui décident des personnes sérieuses à proclamer cette impossibilité, on ne renoncera pas à démontrer sur quels malentendus repose la conviction que l’entrée dans les mondes supérieurs est interdite à la connaissance humaine.
  Deux aspects de la question se présentent à nous. En premier lieu aucune âme humaine, après un examen sérieux, n’hésitera à reconnaître que les problèmes essentiels qui touchent le sens et la valeur de l’existence doivent demeurer sans réponse, si les mondes supra-sensibles sont décidément inaccessibles. En théorie on peut feindre d’échapper à cette évidence : mais la vie profonde de l’âme n’est pas dupe de cette feinte. Si l’on refuse de prêter l’oreille à cette vie profonde de l’âme, naturellement on rejettera tout enseignement touchant les mondes supérieurs.
  Mais il est des hommes — et ils sont nombreux — auxquels il est impossible de demeurer sourds à ces voix intérieures. Ils se voient obligés de frapper sans cesse à ces portes qui, suivant l’opinion commune, renferment l’inconnaissable.
  En second lieu nous reconnaîtrons que les nécessités de la pensée rigoureuse ne sont nullement à dédaigner. Celui qui s’en occupe saura les prendre au sérieux, quand ce sérieux s’impose. L’auteur de ce livre ne voudrait pas être accusé de traiter légèrement l’immense labeur intellectuel qui a reculé les bornes de l’intelligence humaine. Ce labeur intellectuel ne saurait être écarté avec quelques phrases toutes faites sur la « sagesse scolastique ». Dans bien des cas il a sa source dans un effort sincère de la connaissance, soutenue par une pénétration réelle. Allons plus loin : on a avancé des raisons pour démontrer que la connaissance, aujourd’hui qualifiée de scientifique, ne saurait pénétrer dans les mondes supérieurs : et ces raisons sont, à certains égards, irréfutables.
  En voyant l’auteur de ce livre faire une telle concession, beaucoup s’étonneront qu’il ait cependant entrepris de traiter précisément de ces mondes supérieurs. Il paraît contradictoire d’admettre d’un côté le caractère inconnaissable des mondes supérieurs, et d’en parler cependant.
  Et pourtant cette contradiction s’explique bien que l’on puisse parfaitement comprendre qu’elle s’impose à l’esprit comme une évidence. Tout le monde n’aborde pas les expériences qui se présentent naturellement quand on applique aux mondes supérieurs la raison humaine. C’est par ces expériences seules que l’on reconnaît que les arguments de la raison peuvent bien être irréfutables, et que pourtant ils ne décident pas de la réalité des choses. Mais au lieu de discuter théoriquement, essayons ici de nous faire comprendre par une comparaison. Les comparaisons ne prouvent rien, mais elles rendent souvent intelligibles les vérités que l’on cherche à exprimer.
  La connaissance humaine, que nous voyons à l’œuvre dans la vie journalière et dans la science commune, est vraiment ainsi faite qu’elle ne saurait pénétrer dans les mondes supérieurs.
  Cet axiome peut se démontrer péremptoirement. Cette démonstration, pour un certain niveau de la vie intérieure, n’aura pas plus de valeur que si l’on prouvait par des arguments que l’œil humain ne saurait inspecter le détail d’une cellule vivante ou la constitution d’un astre lointain. La vue normale ne saurait pénétrer dans les cellules, et d’autre part la connaissance normale ne saurait pénétrer dans les mondes supra-sensibles : voilà deux vérités aussi exactes et démontrables l’une que l’autre. Et pourtant ce fait que l’œil humain ne saurait étendre son investigation dans les cellules vivantes n’empêche pas que l’exploration de ces cellules ne soit praticable. Pourquoi donc, de ce que la connaissance normale ne pénètre pas dans les mondes supra-sensibles, s’ensuivrait-il que ces mondes sont impraticables à toute connaissance ?
  On peut imaginer les sentiments qu’une pareille comparaison est susceptible d’éveiller. Il y aura des gens pour dire que l’auteur de cette comparaison ne soupçonne même pas le caractère profondément sérieux du travail intellectuel dont nous parlions. Et pourtant celui qui écrit ces lignes est non seulement plein de respect pour le sérieux de ce labeur, mais encore persuadé qu’il compte parmi les plus nobles activités de l’espèce humaine. Prouver que la vue humaine n’atteint pas les cellules sans être aidée par quelque appareil, serait une vaine entreprise : mais que le penseur rigoureux analyse la nature de la pensée, c’est là un travail nécessaire pour l’esprit.
  Au cours de ce travail il n’est pas très surprenant que le penseur oublie de remarquer que la réalité peut parfaitement le contredire. Dans ces préliminaires il n’y a pas de place pour les
  « réfutations » opposées aux premières éditions par des personnes auxquelles manque la compréhension la plus élémentaire du but poursuivi, et qui dirigent des attaques mensongères contre la personne de l’auteur : mais il est par contre opportun d’y affirmer avec force que, pour trouver dans l’ouvrage une marque de mépris à l’encontre du labeur scientifique sérieux, il faut se refuser à voir le sens véritable de l’œuvre.
  Le pouvoir de connaître peut être fortifié et amplifié chez l’homme, tout comme le pouvoir de vision. Les moyens sont de nature purement spirituelle : ce sont des procédés qui relèvent de la vie intérieure, de la vie de l’âme. Ils consistent dans ce qui est décrit sous le nom de méditation, et de concentration ou contemplation. La vie psychique normale est liée aux organes corporels, la vie psychique intensifiée est capable de s’en libérer. Il y a des conceptions contemporaines pour lesquelles cette affirmation est absurde et ne peut résulter que d’une auto-suggestion. De leur point de vue, ces doctrines démontreront que toute vie psychique est liée au système nerveux. Celui qui partage les idées qui ont inspiré ce livre comprendra parfaitement leur démonstration. Il comprendra les hommes qui affirment que c’est une assertion légère et superficielle de parler d’une vie psychique indépendante du corps, et que pour les expériences psychiques que nous considérons il existe une cause nerveuse que le « dilettantisme de l’occultisme » ne sait pas découvrir.
  Sur ces points, il existe entre le contenu de l’ouvrage et certaines habitudes de pensée, très compréhensibles, une contradiction si flagrante, que la conciliation est impossible, actuellement du moins. Il est permis seulement d’exprimer le vœu que dans notre temps il ne fût pas usuel de taxer aussitôt d’hérésie ou d’invention un courant de pensées différent de celui auquel on adhère soi-même. D’autre part, un fait est incontestable : c’est que les recherches occultes exposées dans cet ouvrage rencontrent l’approbation d’un grand nombre de personnes qui estiment que le sens de la vie ne se découvre pas par des lieux communs sur l’âme ou l’individualité, mais par une étude pratique des résultats dus aux investigations occultes. C’est avec une satisfaction sincère et non pour en tirer vanité que l’auteur de ce livre a reconnu nécessaire d’en publier une quatrième édition après un espace de temps relativement court. Pour en tirer gloire, l’auteur est trop conscient de ce qui manque à ce livre afin de justifier le titre « d’esquisse d’une philosophie des mondes supra-sensibles... », même dans cette nouvelle édition qui a été remaniée, éclairée et complétée sur des points importants. L’auteur a souvent senti combien primitifs et rudimentaires sont les moyens d’expression possibles, en regard de ce que découvre l’investigation occulte. C’est à peine s’il a pu indiquer un chemin pour accéder aux représentations que doivent évoquer dans cet ouvrage les évolutions saturnienne, solaire et lunaire. Un point important a été traité à nouveau dans cette édition. Pourtant les expériences de ces choses diffèrent si profondément de toutes les expériences sensibles que l’exposition représente une lutte incessante à la poursuite d’expressions relativement satisfaisantes. Celui qui portera son attention sur cet effort remarquera que bien des nuances inexprimables par la sécheresse des mots, sont indiquées par le mode de description. Ce mode varie selon qu’il s’agit des évolutions saturnienne, solaire ou lunaire.
  L’auteur a introduit des éclaircissements et des commentaires nombreux dans la partie du volume qui traite de la « connaissance des mondes supérieurs ». Il s’est efforcé ainsi de rendre sensible le processus des expériences psychiques par lesquelles la connaissance se dégage du monde sensible pour s’adapter à la perception des réalités invisibles. Il a tenté de démontrer que cette perception, bien qu’elle soit conquise par des moyens tout intérieurs, n’a nullement une valeur subjective pour chaque individu qui la possède ; il a décrit par quelle voie le caractère particulier et individuel s’efface au cours du développement intérieur, pour faire place à des expériences qui sont identiques pour tout homme qui a suivi une méthode de développement correcte en partant des premiers phénomènes subjectifs. C’est ainsi conçue seulement que la connaissance des mondes supérieurs se distingue de toutes les expériences purement subjectives telles que celles des mystiques. De la mystique on peut dire qu’elle est plus ou moins une affaire personnelle, propre au mystique. L’entraînement ésotérique, tel qu’il est envisagé ici, vise des expériences objectives, dont la vérité est reconnue dans le for intérieur de l’homme, mais qui précisément pour cela ont une valeur générale évidente. Ici encore une conciliation avec certains penseurs modernes est irréalisable.
  Pour finir, l’auteur de l’ouvrage fait observer aux gens bien disposés qu’il leur faut prendre ce livre pour ce qu’il est au fond. On cherche souvent aujourd’hui à donner à telle ou telle doctrine tel ou tel nom tiré de l’antiquité. Ce nom seul leur donne du prix aux yeux de beaucoup. Mais nous demanderons ici : que gagneront les idées de ce livre à être qualifiées de « rosicruciennes » par exemple ? Leur but est d’employer les moyens convenables au stade présent de l’évolution de l’âme pour tenter de jeter un regard sur les mondes supra-sensibles et pour que de ce point de vue les mystères de la destinée et de la nature humaine soient considérés au delà des frontières de la naissance et de la mort. Il ne s’agit pas d’entreprendre une œuvre conforme à telle ou telle dénomination du passé, mais une œuvre qui tend à la recherche de la vérité actuelle.
  D’autre part, on a également donné à la conception exposée dans cet ouvrage telle ou telle qualification dans une intention hostile. Certaines de ces qualifications qui avaient pour but de discréditer gravement l’auteur sont absurdes et inexistantes : en outre elles veulent rabaisser une recherche absolument indépendante, en refusant de la juger en elle-même, mais en la supposant subordonnée à telle ou telle idée et en essayant de faire accepter aux autres un jugement fondé sur cette supposition purement imaginaire. Autant sont nécessaires ces quelques mots en présence des attaques dirigées contre l’auteur, autant il serait déplacé d’entrer dans une discussion de fond sur ce sujet et à cette place.
  Rudolf Steiner.
  Mai 1913. 

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